"Mon" Jeannot

La dernière fois qu’on s’est vu c’était pour son anniversaire, 94 automnes. Avant nous aurions pris un verre de vin blanc. Nous aurions bu le mien, car il le trouvait meilleur.

 

Il n’a pas été facile à approcher le bougre ! Il n’était méchant, juste rustre et bougon pour être sûr de préserver son pré carré. Un vrai ours dans sa tanière !

 

Bien malgré lui, il s’est laissé attendrir par une môme et son animal. Un jeune chien fou, suivi par son inexpérimentée maitresse, allait envahir son monde, en mode tornade. Il était foutu ! Il venait de tomber dans le piège d’amour de l’énergique enfance. Et contre toute attente, l’armure s’est fissurée. Petit à petit, Jeannot s’est laissé approcher.

 

« Tu vas pas les épamprer tes tomates, grogna-t-il en roulant le r ?

Surement, si tu m’expliques en quoi ça consiste ! Surpris, il s’approcha pour gesticuler quelques explications.

Et tes salades, tu comptes les éclaircir un jour ? »

Mon ignorance et mon incompétence ont eu raison de sa patience ; il a fini par entrer dans ce jardin expérimental et se fendre de quelques mots salvateurs de tomates. Petit à petit, le Jeannot s’acclimata à la civilisation voisine. Je ne sais pas dire ce qui l’a ramolli, amadoué, attendri ; je n’ai jamais osé lui demander. Est-ce que c’est son statut de vieil homme seul au bout de la rue ou l’unique à posséder des connaissances potagères dans le quartier ? Mine de rien, il prit au sérieux son rôle de superviseur de mes travaux agricoles.

 

« Tu les tailles n’importe comment tes rosiers ! Tu n’auras jamais de fleurs ! »

Ce jour-là, je me suis retournée, je l’ai regardé droit dans les yeux en lui tendant mon sécateur : Jeannot, je te proclame tailleur officiel de mes rosiers.

 

Cette nouvelle étape était comme un pas de plus dans une complicité qui n’avait pas toujours besoin de mots. Pourtant quand nous prenions un verre, dans sa petite maison au sol en ciment, il m’avait offert quelques images de son passé. Son enfance chez une marraine à Marnac. Le petit séminaire. Ce travail dans les vignes en Gironde. Son épouse partie trop tôt. Trop tôt pour avoir eu le temps de lui offrir une descendance. Dans sa voix, il ne semblait pas y avoir de regret, peut-être un soupçon de nostalgie quand le vin avait été vraiment bon. Dans ces mots, je n’ai jamais entendu celui de trop, celui qui fait mal ou qu’on jette trop vite sur le dos du voisin.

 

Au fil des années, au rythme des saisons, Jeannot m’a appris à regarder mon jardin. Je savais qu’il était temps de tailler la treille quand je le trouvais assis sur le muret et pointait le sarment à couper.

 

 

Aujourd’hui qu’il regarde passer le temps dans un mouroir plutôt que la rivière au bout de la rue, mon jardin est devenu sauvage et nos moments me manquent.

 

 

Dessin trouvé sur le site de Marie Desbons


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