Linda et la cause des femmes

J'ai choisi d'illustrer cet article avec les œuvres de l’artiste afghane, Shasia Hassana

Linda et la cause des femmes

 

Un morceau d’été après une mission pour Médecins du Monde, en Mauritanie, Linda est repartie ! Cette fois, c’est à Montréal, pour un contrat d’enseignement du français aux nouveaux arrivants au Québec. Une interview entre deux avions !

 

Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana
Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana

Agnès : Est-ce lors d’une de tes missions humanitaires, que tu t’es intéressée aux droits des femmes ?

Linda : Plusieurs facteurs sont entrés en jeu. Tout d’abord, je crois que je ne voulais pas ressembler à ma mère : je voulais être une femme indépendante. Je l’ai vu souffrir dans un mariage, qui ressemblait à une prison. J’ai travaillé à 14 ans pour gagner de l’argent, ce qui m’a apporté une grande liberté.

 

Puis il y a eu ce voyage en Algérie, dans les années 90. Alors que je vais à la plage, sur le chemin, je rencontre une magnifique jeune femme. Poussées par une curiosité mutuelle, nous engageons la conversation. Je lui propose de continuer sur nos serviettes. Là, alors que j’y vais tous les jours avec son frère et tout un tas d’autres personnes, elle me dit : « Mais je n’ai pas le droit d’aller à la plage ! ». 

Elle me regarde droit dans les yeux et avec plein de douceur, elle me dit : « Je n’ai pas le droit, parce que j’ai une vie de merde ».

A cet instant, j’ai réalisé que je jouissais d’un droit extraordinaire : j’avais le droit de circuler où, quand et comme je voulais. Je ne savais pas que c’était un droit, parce que, pour moi, c’était acquis ; je l’apprenais par cette femme, qui n’avait peut-être vu la mer qu’une seule fois et sous la surveillance étroite de ses parents.

Mes missions m’ont amené dans des pays où on a tapissé les murs avec : « Ici, violation du droit des femmes » ! Violation des droits les plus élémentaires : droit de circuler, droit de s’éduquer, le droit de travailler, le droit de parler, le droit de prendre position, le droit de lever la tête... L’impression que les femmes vivent sous le signe de l’interdit.

Je me suis demandé pourquoi j’avais autant de chance et pourquoi pas elles. Alors j’ai voulu sonder : est-ce qu’elles savent qu’elles ont des droits ? Après tout, quand tu vis sans droit, tu ne le sais pas forcément. Ton frère peut, mais pas toi. Tu ne te poses pas la question, parce que toutes les filles - sœurs, amies, voisines - vivent comme toi. Comme le poisson dans l’eau, sait-t-il qu’il est dans l’eau ?

J’ai vu combien les droits des femmes sont violés et combien elles en soufrent. 

Une pierre à l’édifice

Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana
Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana

Agnès : Est-ce que tu as l’impression d’avoir apporté quelque chose à une ou à des femmes ?

Linda : Le premier pas a été de mettre en place le plus rapidement possible des actions qui pouvaient promouvoir le droit des femmes. Puis le plus direct, dans les camps de réfugiés, parce que les gens sont bloqués là, a été de créer des activités génératrices de revenus.

Ces activités sont très populaires auprès de femmes, car en temps de guerre, il y a un changement de rôle. Alors que l’homme était le pourvoyeur, très souvent, dans les camps, les femmes saisissent toutes les opportunités. Pour moi, c’est important qu’elles aient une activité génératrice de revenus. Le microcrédit (ou crédit) peut soutenir un démarrage d’activité et permettre aux femmes de s’accomplir de différentes manières qu’elles ne l’ont été et gagner de l’argent. C’est important qu’elles aient accès à une ressource financière pour sortir de la dépendance de leur mari ou même du système des Nations Unies qui pourvoie à leurs besoins élémentaires.

 

C’est important de les amener à avoir un rôle actif et qu’elles voient qu’elles ont beaucoup plus de capacités que juste s’occuper des enfants et de la cuisine. Il n’y a pas que l’indépendance financière, matérielle, il y a aussi l’indépendance psychologique, émotionnelle.

 

Mon autre pierre à l’édifice est mon entêtement face aux autorités. Peu importe qui est devant moi, je répète sans relâche avec courtoisie, politesse, diplomatie que, malgré les préceptes religieux, les cultures, il existe des droits dont les femmes devraient pouvoir jouir.

Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana
Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana

 

Agnès : Est-ce tu as le souvenir d’une femme en particulier ? Est-ce qu’il y a une rencontre qui t’as permis de mesurer l’impact que pouvait avoir l’indépendance dans la vie d’une femme ?

 

Linda : Si je reviens sur les activités génératrices de revenus, je me souviens d’une femme, Alaa, une syrienne dans un camp de réfugiés en Jordanie. On avait mis en place une activité de couture, il y avait machine et tout ce qu’il fallait pour proposer quelques services. En plus des quelques sous qu’elle pouvait gagner, elle recevait un per diem. La 1ère fois que j’ai appelé son nom, elle s’est approchée, je lui ai tendu la main pour lui donner l’enveloppe contenant son argent. Elle a fait un bond en arrière. J’ai d’abord pensé que j’avais fait un geste qui n’était pas juste culturellement. Avec des larmes dans les yeux, elle m’a dit : « C’est la première fois que je reçois de l’argent pour mon travail. C’est quelque chose que je n’aurais jamais imaginé. » En même temps que les larmes qui coulaient, elle avait un sourire radieux ; c’était comme une renaissance pour elle. Ça a été un moment très fort. Ça m’a beaucoup encouragée, car pour Alaa, c’était une émancipation inimaginable.

 

Aïchetou ou briser le silence

Agnès : As-tu un souvenir qui t’a particulièrement bousculé, impressionné ?

 

Linda : En Mauritanie, j’intervenais en région où j’animais une formation sur l’approche genrée dans les projets humanitaires, ce qu’est la violence basée sur le genre. C’était ouvert à tout le staff local de Médecin du Monde – le staff projet, logistique, chauffeurs, agents d’entretien des locaux et extérieurs… Là je remarque une femme de ménage qui suit avec une attention particulière les 3 jours de formation. Sachant que 8 femmes sur 10, dans le monde, ont subi des violences, quand je sens la confiance installée, je demande : est-ce que parmi les femmes présentes, une aurait subi des violences ?

Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana
Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana

 

 

Et là, alors qu’il y a des hommes dans la salle, cette femme, qui est la femme de ménage du bureau de l’organisation, se lève. C’est déjà rare de prendre la parole, mais en plus se lever ! Aïchetou est debout, fière, et dit : « Je vais vous raconter les violences que j’ai subies. »

Raconter sa souffrance est un cran de courage au-dessus, car on a dit aux femmes que la souffrance fait partie de leur vie, que c’est dans leur capacité à endurer qu’elles trouvent la dignité d’être femme. Alors pour que cette femme ose dire : « Je vais vous raconter mes souffrances », c’est un séisme !

Elle raconte qu’elle faisait partie d’une fratrie de 7 ou 8 enfants. Elle avait 8-9 ans. Un homme vient chez ses parents. Les parents font mettre en ligne les filles et disent à l’homme d’une quarantaine d’années : « Choisis celle qui te plaît. »

- A cet instant, je me suis sentie légale du bétail. Dans cette même cour, pour l’Aïd, on met les moutons et les hommes choisissent celui qui leur plaît. Pour mon plus grand malheur, j’étais la plus belle et j’ai été choisie. A 11 ans, j’étais enceinte. »

Pendant son témoignage, Aïchetou a beaucoup pleuré. Pleurer est aussi un acte incroyablement courageux, car elle sait qu’elle va être jugée par le village pour avoir dit sa souffrance. Elle a pleuré et elle a dit que jamais plus elle ne se tairait sur la violence : « Dorénavant je ferai parler. J’interviendrai pour les femmes afin qu’elles racontent leur souffrance, parce qu’il est temps qu’on sorte du silence.

 

Elle venait de faire mon boulot ! Elle venait de rompre ce silence ignoble et toucher des hommes. Après tout, tant que les femmes ne diront rien, les hommes peuvent penser qu’elles acceptent, que c’est normal. Sans un témoignage, ils peuvent continuer à imaginer que cela fait partie de la vie des femmes ; alors que, là, ils se rendent comptent qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Ils réalisent aussi que cela peut être leur fille, leur sœur.

L’importance de briser le silence en posant des mots sur la souffrance.

Ce qui m’aide dans ce travail, c’est qu’il y a de temps en temps une femme qui dit « Ça suffit, je ne veux plus. Pour moi c’est trop tard, mais pas pour ma fille. Les choses peuvent changer grâce à moi. Et s’il y a une raison pour laquelle j’ai été mise an monde, c’est que, moi, je vais arrêter le cycle de violence que toute ma lignée de femmes a subi ».

Ça, pour moi, ce sont des moments très, très forts, intenses et précieux

Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana
Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana

Tu sais tout le mouvement #MeeToo, je le vois de 2 manières. Je le vois comme l’aboutissement d’un truc qui a commencé il y a des décennies avec les mouvements féministes, ou pas. Et en même temps je le vois comme la pointe de l’iceberg de ce que peut devenir l’émancipation des femmes. C’est surtout sortir des cercles de l’acceptation de la violence, de l’impunité de l’homme et surtout changer la honte de camp, parce qu’à mon avis, la problématique est là.

 

A travers le monde et surtout dans les pays où j’ai travaillé, peu importe le niveau de violence qu’elles soient sexuelles, conjugales – ce sont les plus communes – quel que soit le type d’agressions, sans parler pas des violences traditionnelles, c’est toujours la faute de la femme.

 

C’est toujours la faute de la femme !

Même les gens qui sont sensibilisés, les gens qui travaillent dans la santé publique, dans le droit des femmes vont glisser des trucs comme : "Oui, mais si elle n’avait pas à faire ses courses à cette heure-là… Si elle n’avait pas parlé au téléphone avec ce jeune homme… Si elle n’était pas été à l’école… ».

Mais non ! NON ! La honte n’est pas sur la jeune fille qui a envie d’aller à l’école.

 

La honte est sur l’agresseur.

Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana
Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana

 

Je voudrais tellement parler du fait que, encore dans plusieurs pays, c’est la place de l’homme, le fait que l’homme soit sur un piédestal ; c’est ancré tellement profondément dans certaines cultures. Souvent j’ai l’impression qu’il y a Dieu, les prophètes et, en suivant la lignée : il y a l’homme.

Par exemple, dans la religion musulmane, tous les ainés s’appellent Mohamed, mais Mohamed, c’est le Prophète que je sache ! Ça semble être rien, mais quand on prend le temps d’y penser, ça veut dire qu’il est digne d’être appelé par le nom du Prophète. Le problème est qu’on va le traiter toute sa vie comme le Prophète et les femmes autour de lui seront comme sa servante, que ce soit sa mère, sa sœur, sa femme.

 

Et, ça, c’est ancré dans les mentalités.

Agnès : Je ne pense pas que la religion catholique ait grand-chose à envier sur le sujet...

Linda : Bien sûr, ça n’est qu’un exemple ! Partout dans le monde il y a des femmes subissent des violences et vont avoir comme premier réflexe : la culpabilité, la honte et la justification de la violence qu’elles ont subies.

J’ai travaillé sur tous les continents et dans pas mal de pays et c’est une constante : l’homme peut faire ce qu’il veut, il est toujours pardonné et la femme a toujours honte d’avoir respiré !

Nous avons mis les hommes sur un piédestal peut-être parce qu’on nous répète qu’ils ont créé le monde. On nous répète que le prince charmant est dehors. On nous répète que la honte est sur nous et la femme, peut-être plus profondément que l’homme, a un tel besoin d’amour... Pour l’amour de l’autre, elle est prête à pardonner des choses impardonnables. Elle a ce besoin de reconnaissance de l’homme qu’elle continue à le torcher, à faire ses repas malgré tout.

 

Je pense qu’il y a quelque chose qui me mobilise beaucoup dans mon travail, c’est que – factuellement et, là, c’est indéniable – 90 à 95% des actes de violences contre l’humanité sont perpétrés par des hommes. C’est indéniable.

 

Et malgré tout, la femme continue à aimer l’homme.

Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana
Illustration de l’artiste afghane, Shasia Hassana

Je ne dis pas qu’elle ne doit plus le faire, mais j’aimerais amener les femmes à se rendre compte combien elles sont merveilleuses, combien elles sont fortes, combien elles sont dignes du plus grand des respects.

Si je compare les femmes aux hommes, on devrait se voir décerner, chaque année, un prix Nobel de la Paix ! Et je vais grossièrement généraliser, on devrait décerner aux hommes le titre de responsables de crimes contre l’humanité.

Chaque année ! Jusqu’à ce que ça change !

 

Et au final, elles devraient se rendre compte que ce sont elles qu’on devrait mettre sur un piédestal ! Ce sont elles qu’on devrait adorer, aduler, placer sur la lignée de Dieu et celle des prophètes. Je suis ironique et sérieuse en même temps, mais je suis triste de voir combien la femme à travers sa vie fait tout pour l’amour et la reconnaissance d’un homme, alors que parfois ils n’en sont pas dignes. Il faudrait les remettre à leur place, mais on n’ose pas leur dire à cause de tous ces dictats, à cause de cette place réservée qu’on lui a réservée. Pour moi tout est relié.

 

L'entretien n'est pas terminé, la suite arrive dans un futur très proche !

Écrire commentaire

Commentaires: 0